Archive pour Siam Paragon

Un peu (enfin, beaucoup) d’économie thaïlandaise

Posted in Economie & Finance with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , on 21 avril 2009 by Placet

 Poursuite de notre revue « économique », avec un premier bilan suite à notre séjour thaïlandais…

A Bangkok, il fait chaud – très chaud même en milieu de journée, et c’est pour échapper à la moiteur ambiante que nous avons un jour de grande fatigue trouvé refuge dans un des nombreux centres commerciaux du centre-ville. Ceux-ci, concentrés de part et d’autre du métro aérien et reliés par des galeries, ont pris possession du centre de façon tentaculaire et forment une sorte d’univers à part en plein coeur de Bangkok.

Nous en avons profité pour observer longuement produits et consommateurs et nous imprégner de cette ambiance souvent révélatrice de l’évolution d’une société et de son économie. Cette observation s’est toutefois rapidement transformée en séance de dégustation lorsque notre errance nous a menés jusqu’à la section gastronomique du Siam Paragon, un des centres commerciaux les plus huppés du centre de Bangkok. Très tentant, comme le montrent les vidéos ci-dessous (avec en parallèle une vidéo du marché de Chatuchak, à l’atmosphère bien différente) :

Ayant goûté une bonne partie des spécialités proposées – de la salade de papaye verte bien épicée à la glace à la noix de coco succulente, en passant par crêpes et pancakes de toutes sortes-, nous avons entrepris de faire le point sur notre premier mois en Asie du Sud-Est, riche d’enseignements en matière économique. Ci-dessous nos principales observations à ce stade – SI VOUS N’AIMEZ PAS L’ECONOMIE, C’EST LE MOMENT D’ALLER CHERCHER LA RECETTE DE LA SALADE DE PAPAYE SUR INTERNET… :

Quid de la consommation locale ?

  • La dynamique de consommation à Bangkok semble établie de façon très progressive. Les moins aisés se fournissent essentiellement en produits locaux sur les marchés (dans de bonnes conditions, le pays étant largement autosuffisant en produits agricoles). Les classes moyennes profitent du week end pour envahir les centres commerciaux les plus anciens (Siam Square, MBK), au positionnement « moyenne gamme » et dont le style et les produits réussissent l’exploit de synthétiser le pire de l’Orient et de l’Occident. Enfin, les plus aisés se fournissent en marques occidentales dans les centres les plus récents et « haut de gamme » (Siam Paragon, Emporium). Ainsi, les différents centres ont des positionnements et des clientèles très distincts et le passage d’un centre à l’autre semble pour beaucoup un symbole d’ascension sociale essentiel

Quelle dynamique économique ?

  • Plus généralement, même si la relative jeunesse des pays émergents est devenue un cliché, il est vraiment frappant de constater au quotidien combien la population est jeune. On ressent en marchant dans la rue un impression très différente de la « vieille » Europe ou de l’Amérique du Nord, avec une proportion énorme de moins de vingt ans… Et si l’on combine cette relative jeunesse avec la taille de la population (65 millions d’habitants en Thaïlande, 86 millions au Vietnam, et ce sont loin d’être des géants dans la région), on obtient une dynamique de croissance démographique phénoménale dans les décennies à venir

  • De plus, même si le taux d’épargne des ménages est élevé -comme dans la plupart des pays de la région-, les Thaïlandais nous ont donné l’impression d’adorer consommer – on peut même parler de frénésie à Bangkok. Cette consommation traduit un fort désir de réussite sociale qui accompagne l’urbanisation rapide de la société, et dont l’accès aux produits de luxe occidentaux semble représenter une étape avancée – un filon gigantesque pour les groupes qui les exploitent dans les années à venir…

A qui profite le crime ?

  • Les produits occidentaux -notamment français et italiens- dominent largement les rayons mode, luxe et cosmétiques des grands magasins -avec quelques marques japonaises plus marginalement représentées. De façon intéressante, les produits importés sont proposés à des prix élevés, souvent plus qu’en Europe – volonté de se démarquer par le prix ou de privilégier les marges ? Une stratégie assumée en tout cas de se faire désirer et cristalliser les désirs d’ascension sociale plutôt que de se rendre abordable pour séduire un plus grand nombre. Si le pouvoir d’achat continue à progresser dans les pays émergents, les marques de biens de consommation et de luxe occidentales semblent être assises sur une mine d’or…

  • Constat très différent dans d’autres rayons, où les marques asiatiques -japonaises, coréennes et chinoises- dominent largement l’offre. Ils écrasent notamment le gros électroménager (Samsung, LG, Mitsubishi, Sharp, Fujitsu), les seuls acteurs européens présents se concentrant sur le haut de gamme (Siemens, Electrolux). Même constat dans le petit électroménager dominé par Sharp et d’autres marques japonaises, avec une faible présence européenne de marques comme Philips, Electrolux ou Braun. Dans la rue, le constat est encore plus frappant lorsqu’on observe le parc automobile : Toyota et Mitsubishi semblent se partager le marché, avec d’autres marques japonaises (Honda, Isuzu) et quelques grosses berlines allemandes pour ramasser les miettes. Les principaux groupes asiatiques méritent donc vraiment d’être suivis, car ils « occupent le terrain » de façon impressionnante – les vrais leaders de demain ?

  • Le Japon, premier partenaire commercial de la Thaïlande, est d’ailleurs très présent dans l’économie locale, que ce soit par les biens d’équipements ou de consommation (électrique, électronique, automobile) ou les investissements dans des projets d’infrastructure (financements des ponts frontaliers avec le Laos par exemple). La Chine a également des relations commerciales soutenues avec la Thaïlande mais sa présence directe et à grande échelle est moins évidente

Et comment se porte l’économie thaïlandaise ?

  • L’économie thaïlandaise s’est fortement développée ces dernières années, et la crise de 1997-98 ne se voit plus guère que dans les nombreux immeubles vides du centre de Bangkok. Si l’agriculture continue d’occuper une large part de la population (notamment la culture du riz), la Thaïlande a su développer une base industrielle forte (agro-alimentaire, biens d’équipement, textile et électronique notamment) qui s’est accompagnée d’une urbanisation croissante de la population. Le secteur financier semble solide et le tourisme, momentanément freiné par le tsunami de décembre 2004, a rapidement repris son développement – même si cette année s’annonce difficile. Attention, l’économie thaïlandaise est très ouverte (les exports représentent 2/3 du PIB) et donc exposée à la crise mondiale : le PIB est ainsi attendu en baisse de 2% en 2009 malgré une consommation intérieure résiliente (+10% sur les deux premiers mois de l’année). Pour ceux qui envisagent d’investir, attention toutefois à la corruption endémique et à l’instabilité politique – les Thaïlandais sont des professionnels du coup d’état, et le pays est d’ailleurs en ce moment même secoué par des émeutes conduites par des partisans de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra. A quand un peu de stabilité ?

Quelques conclusions pour les courageux qui suivent encore (s’il y en a !)

  • Les pays émergents vont continuer à tirer la croissance et jouer un rôle nouveau dans l’économie mondiale : si cela était nécessaire, ce début de voyage a achevé de nous convaincre que le potentiel de croissance économique mondial du 21ème siècle se situe bien dans les pays émergents. Croissance démographique structurellement élevée, épargne abondante de ménages qui entrent progressivement dans la société de consommation… Si la plupart des pays que nous visitons sont issus de civilisations très anciennes, ils n’ont pour beaucoup (ré-)intégré l’économie et le commerce mondiaux que dans les vingt à trente dernières années -notamment pour des raisons politiques. Ils l’ont d’abord fait en fournissant ou en assemblant matières premières et produits manufacturés à bas prix aux pays occidentaux (Chine, Brésil, etc.) ou en sous-traitant des services (Inde), ce qui a d’ailleurs largement contribué à contenir l’inflation mondiale ces dernières années. Il va désormais falloir compter sur eux comme clients et consommateurs à part entière…

  • L’exposition aux pays émergents comme critère d’investissement ? Au sein d’un même secteur, les entreprises les plus présentes dans les pays émergents disposent ainsi d’un potentiel de croissance à long terme supérieur à leurs concurrents concentrés sur les économies développées. Ce constat est tout d’abord un critère de différentiation significatif lorsqu’on analyse des groupes occidentaux cotés à Paris, Londres ou New York (on a déjà parlé de Nestlé et Danone en Thaïlande, et on partagera rapidement nos premières impressions sur le Vietnam). Il est aussi une incitation à investir davantage sur les principales bourses émergentes, tant certains leaders asiatiques par exemple (Samsung, Mitsubishi, etc.) ont tiré profit de leur proximité géographique et/ou culturelle pour prendre des positions fortes sur ces nouveaux marchés. Des risques demeurent bien sûr, liés à la gouvernance des sociétés, à l’instabilité politique (cf. Thaïlande) ou encore aux caprices des flux de capitaux occidentaux et de leur appétit pour le « risque », mais ces marchés émergents sont de plus en plus difficiles à ignorer…

  • Une opportunité bienvenue de réinventer l’économie mondiale ? Enfin, en soulignant le besoin pour les ménages américains d’épargner davantage et de se désendetter enfin, la crise actuelle met en évidence l’impasse dans laquelle est plongée l’économie mondiale. La consommation américaine, qui tire depuis des décennies la croissance mondiale, risque en effet de ne plus jouer ce rôle très longtemps. Problème : qui va prendre le relais ? Les pays émergents exportateurs comme la Chine, qui ont jusqu’ici alimenté leur propre croissance en finançant les déficits de leur meilleur client américain, vont devoir à la fois trouver de nouveaux débouchés et recycler leur abondante épargne. N’est-ce pas l’occasion de réorienter cette épargne vers la consommation et l’investissement locaux, qui pourraient progressivement prendre le relais de la demande US et contribuer à rééquilibrer les flux commerciaux et financiers internationaux ? C’est d’autant plus possible que les principaux Etats émergents ont -contrairement aux pays occidentaux- des réserves financières suffisantes pour stimuler la demande locale sans déséquilibrer durablement leurs finances publiques. Il reste du chemin à faire, mais l’opportunité est unique de réinventer l’économie mondiale. Affaire à suivre…